#Ÿnspire – Laura André-Boyet, instructeur astronaute

20/12/2021

L’impact guide le quotidien de tous les Ÿnsecters : comment nourrir la planète tout en préservant les ressources et la biodiversité ? Au fur et à mesure que nos initiatives s’élargissent, nous avons décidé de donner la parole à ceux qui contribuent à changer le monde, à proposer des alternatives et à croître durablement. Aujourd’hui, nous rencontrons Laura André-Boyet, instructeur d’astronautes pour l’Agence spatiale européenne, au Centre européen des astronautes à Cologne, en Allemagne. Nous discutons de son parcours et de son métier, du rôle des astronautes, ainsi que de l’importance de l’éducation et de la transmission des connaissances.

En termes simples, pouvez-vous expliquer votre travail ?

Mon travail est multiple : en tant qu’instructeur d’astronautes, j’entraîne à la fois les astronautes qui volent et les personnes qui restent au sol. Les gens pensent souvent qu’il est important de former uniquement ceux qui vont dans l’espace, mais en réalité, il y a des dizaines de personnes qui restent sur Terre et qui ont également besoin d’une formation spécifique. Ma mission avec les astronautes est de les doter des connaissances et des compétences dont ils ont besoin pour être parfaitement préparés à leur mission. Ils sont nombreux, tous de nationalités différentes. Aujourd’hui, il existe trois niveaux de formation différents : de base, de spécialisation et de mission. Je suis impliqué à tous les niveaux, mais j’aide principalement à l’entraînement pour les missions, c’est-à-dire tout ce que l’astronaute doit faire pendant qu’il est dans les airs. Les formations se déroulent en anglais et sont filmées pour être reconsultées en cas de problème durant la mission. Avant le début de l’entraînement proprement dit, je dois moi-même être formé dans une phase d’entraînement pour pouvoir répondre aux éventuelles questions des astronautes. Je reçois la formation de scientifiques et d’experts, puis je crée le plan de formation. Un haut niveau de détail est requis car il doit être préalablement validé par des experts. Lorsque le plan est prêt, je le présente à un jury. La formation est si exigeante qu’elle ne se fait généralement qu’avec un seul astronaute à la fois. Si je devais résumer, mon travail s’apparente à celui d’un enseignant mais avec une classe d’un seul élève.

 

 

Quelle a été la formation pour devenir instructeur astronaute ?

Jusqu’à présent, il n’y a pas de formation spécifique pour devenir instructeur d’astronaute. Je ne savais même pas que le travail existait jusqu’à ce qu’on me le propose. Travailler dans ce domaine n’était pas du tout une vocation précoce ! Même enfant, je n’ai jamais été intéressé par l’espace. A la place, j’ai étudié la physiologie puis l’ingénierie à l’Ecole Polytechnique de Grenoble où j’ai combiné médecine et ingénierie. J’ai aussi passé du temps au Japon et complété un double diplôme à Montréal. J’aurais pu retourner à l’école de médecine à mon retour, mais j’avais hâte de commencer ma carrière. Je suis donc tombé par hasard sur l’industrie spatiale lors de mon stage de fin d’études. J’ai eu une vraie révélation lors de cette expérience : j’ai beaucoup aimé les gens que j’y ai rencontrés et, surtout, j’ai réalisé que je pouvais apporter quelque chose à une industrie dont je ne connaissais rien auparavant !

 

Combien de temps faut-il pour former un astronaute ? Quelles sont les étapes auxquelles vous participez ?

Après avoir été sélectionnés, les astronautes suivent une formation de base d’environ 18 mois pour les mettre à niveau. Ils doivent apprendre à piloter un avion pour ceux qui ne savent pas encore le faire, parler russe, lancer une fusée, faire des points de suture, etc. C’est une phase très intense, mais ce qui est bien, c’est que de belles amitiés se nouent aussi souvent ! Ils se certifient ensuite en tant qu’astronautes mais continuent de s’entraîner jusqu’à ce qu’ils soient affectés à la prochaine mission, car ils doivent maintenir leurs compétences. Une grande partie de mon travail se fait lors de la dernière phase de formation, lors de la phase de mission, qui dure environ 18 mois. Nos formations ont toutes plus ou moins la même structure : une partie théorique, qui couvre les connaissances scientifiques nécessaires et définit les objectifs et les résultats de la formation ; exécution technique/manuelle ; et enfin le protocole scientifique pour s’assurer que les données collectées sont de qualité suffisante.

 

Crédits photos : EAC-ESA Saint Jacques ECHO

 

Quelles sont les compétences indispensables pour exercer votre métier ?

Vous devez être flexible car l’industrie est en constante évolution. Certaines personnes ont besoin d’évoluer professionnellement avec un cadre bien défini, mais ici c’est impossible car il faut tenir compte et s’adapter aux contraintes extérieures comme la géopolitique, les accords internationaux, mais aussi les astronautes eux-mêmes ; il faut savoir se mettre à leur place pour mieux les préparer et les aider à relever des défis. Pour mon métier spécifique, il est impératif d’aimer enseigner et transmettre des connaissances ! Bien sûr, vous avez besoin de compétences théoriques, mais l’empathie est essentielle. Avoir des principes et des valeurs fortes a aussi sa place. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’être passionné par cet univers pour en faire partie, mais il faut être un bon ambassadeur. Il faut montrer l’importance d’envoyer des astronautes dans l’espace et être conscient de cette responsabilité.

 

Avez-vous déjà pensé à devenir vous-même astronaute ? Était-ce juste une envie d’enseigner ?

Je n’ai jamais voulu être astronaute. Ce n’est pas pour moi, et je ne le vois pas comme le jeu final ultime dans cette industrie. En fait, ça me permet d’avoir une relation saine avec les astronautes que j’entraîne car je ne les envie pas. J’ai aussi toujours été intéressé par l’enseignement : ma mère était enseignante et mon père adorait transmettre sa sagesse ! Apprendre de nouvelles compétences me fascine, je trouve l’apprentissage presque magique !

 

Vous êtes très impliqué dans des projets pédagogiques qui encouragent les jeunes à étudier les sciences, pourquoi est-ce important pour vous ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Quand j’étais plus jeune, j’avais du mal à prendre des décisions concernant mon avenir. J’ai eu quelques échecs, mais j’ai aussi eu la chance d’être guidé et conseillé par de bonnes personnes. Ma gratitude pour ce processus est ce qui m’a donné envie de redonner. Je parle le plus souvent possible aux jeunes pour leur faire comprendre ce qu’est l’inspiration. Nous vivons dans un pays où nous sommes privilégiés en termes d’accès à l’éducation, mais nous devons stimuler la créativité et réapprendre à innover. J’essaie de partager les valeurs qui me simplifient la vie et m’aident au quotidien, comme l’authenticité ! Cela me permet de rester fidèle à moi-même, d’être ancrée dans la réalité et de créer de vraies relations basées sur la confiance !

 

Votre métier et vos liens avec les astronautes ont-ils modifié votre vision de la Terre face aux enjeux de notre époque ?

Mon travail est très axé sur un large éventail de questions, notamment l’écologie, la durabilité et la fragilité de nos systèmes. Nous comprenons également mieux les coûts et les objectifs de l’industrie. En travaillant dans ce domaine, vous apprenez à connaître un tout nouveau monde sur lequel presque personne ne communique. Même aujourd’hui, je pense que nous ne communiquons pas assez sur l’importance des astronautes et ce qu’ils font pour l’humanité. Nous recevons souvent des alertes de débris se déplaçant dans l’espace, dont la fréquence est alarmante et nous rend très conscients des dangers liés à l’espace, notamment liés à l’actualité du tourisme spatial. Il est important de ne pas refuser systématiquement les idées venant des équipes commerciales/business development, mais il est indispensable de communiquer clairement sur les risques générés par ce type d’activité pour éviter tout danger.

 

Quelles sont vos prochaines missions et défis ? Une mission sur Mars ?

Pour l’instant, je vais continuer à entraîner les astronautes pour leurs prochaines missions. Après cela, nous devrons en apprendre de plus en plus sur la manière de leur permettre de cohabiter avec les touristes de la Station Spatiale Internationale et de maintenir un équilibre qui ne compromette pas les missions des astronautes professionnels ou, ne mette personne en danger. Ils devront également être formés par nous. Concernant les futures destinations, je travaille personnellement sur les enjeux des futures missions lunaires. Nous devons continuer à rendre nos astronautes encore plus qualifiés et trouver des solutions innovantes pour s’engager dans l’auto-formation ou la formation à la demande. Nous étudions des technologies innovantes telles que l’intelligence artificielle et la réalité augmentée pour nous aider à répondre à ces nouvelles exigences. Avec les missions lunaires qui approchent à grands pas, il n’y a pas de temps à perdre !